Les Amours d’une blonde, Miloš Forman, 1965

« Mon amour pour elle était si grand, il a fait de moi un voyou »

Dans les années 1960, alors que la Nouvelle Vague domine la scène cinématographique en France notamment avec les films de François Truffaut, Jean-Luc Godard ou encore Claude Chabrol, d’autres cinéastes, en Europe de l’Est, mais aussi à l’internationale, sont influencés par ce mouvement porté par la jeunesse et marqué par une forte volonté d’indépendance, de liberté et d’émancipation. C’est notamment le cas en Pologne, mais aussi en Tchécoslovaquie.

En 1965, le réalisateur tchécoslovaque Milos Forman tourne Les Amours d’une blonde. Avec ce film, il s’inscrit dans une époque de libération esthétique et technique, en réaction aux films du réalisme socialiste et à la situation politique de son pays, stagnant dans l’impasse depuis le stalinisme des années 1950. « Tout était si faux, si mensonger, si axé sur la propagande, que nous voulions tout simplement montrer notre vérité, objective et subjective, avec des gens vrais et de vrais visages à l’écran », dit le réalisateur. Son film rend compte de la réalité de la jeunesse du socialisme des années 1960 en Tchécoslovaquie communiste, en montrant à l’écran les ouvrières d’une usine de chaussures à Zruc, non loin de Prague.

Le rythme répétitif de leur travail est un frein aux besoins de la jeunesse qui se font de plus en plus grands. La ville manque d’hommes célibataires et les jeunes femmes sont confrontés à un ennui profond, qui est considéré par le patron paternaliste comme une menace pour la productivité. La solution est alors évidente : faire venir des soldats, organiser un bal où les jeunes couples pourront se rencontrer. Seulement voilà, les hommes appelés sont mariés, grossiers, maladroits et bourrus.

L’élite politique gère ainsi la vie sociale du monde ouvrier allant jusqu’à s’immiscer dans l’intimité des travailleurs. Face à l’aliénation engendrée par le régime et les valeurs qu’il véhicule, en particulier vis-à-vis des femmes, la jeunesse tente timidement de suivre son désir de liberté. Les générations s’opposent, les adultes sont totalement dépassés et les adolescents ont l’esprit parfois fragile et naïf, comme l’illustre bien Andula, ouvrière à l’usine de chaussures qui fuit Zruc pour retrouver un jeune pianiste pragois, Milda, rencontré au bal.

Cette jeune femme idéaliste a le courage de suivre son désir, mais est vite rattrapée par sa naïveté. Sa rencontre avec Milda et la possibilité d’un avenir meilleur ailleurs s’offrent comme un rempart à la vie morose qu’elle mène, où la motivation est perdue et les idées sont rétrogrades. A la pension où les jeunes ouvrières résident, un discours est prononcé par la « Camarade Gouvernante », qui les somme de préserver leur pureté pour leur futur mari. Et si les garçons se comportent mal envers elles, elles ne peuvent s’en prendre qu’à elles-mêmes et leur comportement débauché.

Ce discours vient directement s’opposer à la scène d’ouverture, où une jeune ouvrière chante d’une manière hésitante une ballade rock, dont les notes rappellent certains airs d’Elvis Presley. C’est l’histoire d’un garçon qui aime une fille et son amour a fait de lui un voyou (« hooligan »). La culture populaire devient un tremplin pour la jeunesse dans sa quête de liberté et son désir de rébellion. C’est ainsi le cas de la musique, mais aussi du cinéma, qui exploite toutes ses possibilités techniques et esthétiques.

Le film de Forman est un film hybride. Il n’a pas pour but principal de suivre chronologiquement une histoire et la conduire d’un bout à l’autre, mais il vise à faire une chronique sociale et à dresser le portrait de plusieurs acteurs de la société de son époque, non sans user d’ironie et de sarcasme. La recherche documentaire se mêle ainsi à l’imaginaire romanesque, la douceur se mêle à l’amertume, les acteurs professionnels donnent la réplique à des amateurs dans cette tragi-comédie de la jeunesse. Tout cela participe de la quête d’authenticité qui anime le réalisateur, qui préfère ainsi la caméra mouvante et le format court. La séquence du bal est marquée par un fort réalisme, notamment grâce à la musique, mais aussi à la disposition technique : deux caméras filment la scène, elles sont en position d’observateur fortuit, embrassant ainsi le point de vue du spectateur. Il s’agit avant tout de rendre compte de l’atmosphère présente, de capter le rythme de la foule et son ardeur, tout en révélant les relations sociales qui structurent ce petit monde.

La jeunesse est ainsi portée par une nouvelle culture alternative qui vient répondre à ses aspirations, pendant que les adultes sont blasés et fatigués de la monotonie de leur vie sans histoires. Les parents bourgeois du pianiste pragois dînent sans se parler, la mère s’endort à table peu de temps avant le père, qui ne trouve même pas dans la télévision de quoi le maintenir éveillé.

Tout ce petit monde semble endormi, incapable d’avancer, pris aux pièges par de vieux idéaux qui le conduit inévitablement au désenchantement. La morosité ambiante se dissipe un court instant, lors de la nuit d’amour entre Andula et Milda. Les corps sont exposés pour leur beauté, nue, précieuse et fragile. « Il y a des femmes rondes comme des guitares. Toi aussi tu es comme une guitare, mais une guitare de Picasso », dit Milda à la jeune femme. Le film devient alors très sensuel et léger.

Cette promesse d’un bonheur est pourtant bien vite rompue. Andula retrouve Milda à Prague, mais elle comprend qu’elle n’était pour lui qu’une aventure. Elle retrouve donc sa pension à Zruc et ses amies, à qui elle raconte que la famille de Milda est merveilleuse et qu’ils vont se revoir très souvent. Andula choisit alors le réconfort d’une illusion, d’un rêve, comme rempart à la morosité de sa réalité.

La liberté a un prix, le désir est fragile. Le désenchantement final préfigure déjà avec amertume celui du Printemps de Prague, qui a lieu deux ans après la sortie du film, en 1968, et tente de faire définitivement taire les aspirations de cette nouvelle jeunesse.