Impressionnisme méditerranéen.
En 1958, Agnès Varda réalise son second film et premier documentaire, Du côté de la côte, financé par l’Office National du Tourisme. Grâce à une photographie magnifique et des couleurs pastel caractéristiques de la région, la jeune réalisatrice donne une vision à la fois extraordinaire, poétique et nostalgique de la Côte d’Azur, éden terrestre fragile et illusoire.
Le but premier de ce court documentaire de 26 minutes est de promouvoir la Côte d’Azur : son ciel bleu, son soleil éclatant, ses couleurs vives et sa riche histoire. La narration indique dès le début que le film aura pour objet la foule des touristes, qui envahissent les plages à la recherche du soleil. Antibes, Cannes, Fréjus, Menton, Nice, Saint-Tropez ou encore Toulon, toutes ces villes servent d’illustration à un essai poétique sur le tourisme, avec de légères touches d’ironie.
À l’aide de statistiques et de rappels historiques, la voix-off de Roger Coggio, accompagnée par la musique enchanteresse de Georges Delerue, rythme les différentes vues de la côte, décrivant sa flore diverse et accueillante, mais aussi sa faune touristique estivale : les visiteurs, par milliers, affluent pour bronzer, faire les boutiques, déambuler dans les rues étroites des vieilles villes provençales. Petit à petit, le narrateur s’efface au profit de la narratrice, Anne Olivier, dont la voix vient accentuer des motifs discrets et pourtant si caractéristiques du charme de la côte que sont les bancs, les ruines, les arbres, les marchés, les parasols et les hôtels.
Avec son œil de photographe, Agnès Varda fait de la côte un décor de catalogue de mode, où des femmes merveilleuses se pavanent au soleil portant les derniers chapeaux et bikinis à la mode. Non loin de là, les enfants courent sur le sable, d’autres sont enlacés par le bain de mer. Les voici au bord de l’eau, dans des tons jaunes et bleus qui rappellent les tableaux du peintre espagnol Joaquin Sorolla. C’est tout un monde lumineux qui se poursuit jusque dans les marchés de la ville, où les fruits et les légumes abondent autant que les couleurs.
C’est alors que l’onirisme se mêle au réalisme. Agnès Varda, tout comme Chris Marker, filme les chats, qui flânent le long de la côte, au pied d’arbres séculaires, non loin des cimetières, au bord de la mer. Ces lieux rappellent les mots de Paul Valéry, « La mer, la mer, toujours recommencée ! » (« Le Cimetière Marin », Charmes), déclamés par la voix-off. La mélancolie s’installe, et évoque celle de Jean Vigo dans À propos de Nice, qui faisait le portrait de cette même Côte d’Azur quelques années plus tôt, en 1930. Dans les deux films, les longues séquences dans les cimetières et le carnaval avec ses figures en papier-mâché viennent nuancer la vision idyllique de la région. « De la nostalgie naît le carnaval », indique la voix-off dans le film de Varda. Les confettis, les chars, la fête et les sourires paraissent fragiles et leur fugacité est soulignée par la musique dissonante et angoissante de Deleure dans cette séquence.
Tout cela conduit finalement le spectateur à questionner ce coin de paradis, cet éden éblouissant qui peut-être n’en est pas un et qui s’assombrit au fur et à mesure que film avance. Le voyage poétique et mélancolique se poursuit dans la peinture de l’azur et de l’horizon, qui évoque à la fois Rimbaud et Godard, ce dernier citant le poète à la fin de Pierrot le fou en 1965 : « L’Éternité. C’est la mer allée avec le soleil » (Une Saison en Enfer). Cet idéal d’un éden terrestre est ambigu : c’est un paradis sans l’homme, mais où subsiste tout de même sa présence, passée ou future, comme l’indiquent les espadrilles laissées au bord de la mer, ou deux serviettes de plage abandonnées sur le sable brulant. L’éden, c’est cette image d’une île abandonnée, après l’humanité.
Quand la saison se termine, la mer se vide, l’horizon se fait gris, les parasols se ferment. Avec son court-métrage aux impressions méditerranéennes, Agnès Varda tente de retenir l’été, dans une mélancolie poétique qui fait de la côte d’azur un éden fragile et rare.
Stephen Coon
Bravo, Camille! Quelle joie de lire ce texte! J’ai appris beaucoup! Merci! Steve