La luxure, c’est le luxe !
En France dans les années 1960, la pratique des films à sketches est très répandue. Le principe est souvent le même : rassembler des courts-métrages autour d’un thème particulier et inviter de jeunes cinéastes à les réaliser. En témoignent par exemple en 1962 L’Amour à 20 ans, dont fait partie le célèbre court-métrage de François Truffaut, Antoine et Colette, racontant les déboires amoureux d’Antoine Doinel adolescent ; ou encore en 1965 Paris vu par, qui réunit six réalisateurs autour du thème de Paris, dont notamment Claude Chabrol, Éric Rohmer et Jean-Luc Godard.
Ainsi, en 1962, le réalisateur Jacques Demy est invité à participer au film très ‘nouvelle vague’ Les Sept Péchés capitaux, aux côtés entre autres de Godard, Chabrol, Roger Vadim, ou encore Philippe de Broca. Demy traite donc de la luxure, dans un court-métrage satirique mêlant un style de cinéma vérité – du fait de ses nombreuses prises de vue en extérieur – à des reconstitutions surréalistes d’un enfer imaginé et de sa présence dans l’époque moderne. Tout cela, bien entendu, rythmé par la musique de Michel Legrand.
La Luxure est une vignette amusante sur les différentes perceptions et représentations du péché, jouant également de l’étymologie du mot. « La luxure, c’est le luxe ! » : c’est ce que dit le petit Bernard à son ami Jacques. Jacques Demy, afin de contourner la censure, montre la luxure au travers des yeux d’un enfant, autour d’un flash-back dans lequel le jeune Bernard – interprété par Jean-Louis Trintignant – raconte à son ami Jacques – Laurent Terzieff – ses interrogations sur ce mot entendu au catéchisme.
C’est la première et unique fois que les deux acteurs se retrouvent devant la caméra de Jacques Demy. Les voici en étudiants dragueurs du quartier Latin, à mi-chemin entre le personnage de Patrick dans Tous les Garçons s’appellent Patrick de Godard et interprété par Jean-Claude Brialy, et Michel Poiccard dans À bout de souffle, joué par Jean-Paul Belmondo. On y retrouve aussi d’autres visages familiers, comme Corine Marchand, qui interprète l’héroïne de Cléo de 5 à 7 d’Agnès Varda, ou encore Jean Desailly, qui joue pour François Truffaut dans La Peau douce.
Il s’agit avant tout de filmer la jeunesse, dehors, dans la rue, de laisser la place à l’improvisation, au hasard, et mêler les genres tout en jouant avec le cinéma comme art du temps, utilisant tous les ressorts du cinéma. Dans le court-métrage de Demy, l’art classique se mêle au monde contemporain, et la peinture dialogue avec le cinéma. En effet, Jacques et Bernard se demandent ce qu’est la luxure en regardant une reproduction du Jardin des délices de Jérôme Bosch.
La mise en scène est très chorégraphiée et répond à un souci de grande fluidité. Le dynamisme du paysage parisien évoque les premiers films de Godard, de Rohmer ou de Truffaut, et la rue offre la possibilité de multiples rencontres. C’est là que Jacques s’amuse à draguer les filles, que les amis se rencontrent et se parlent, mêlant d’ailleurs un langage quotidien à une prose poétique plus assumée, mais jouant toujours avec les mots : « On va aux quais ? – Ok ! ».
Le réalisme se mêle petit à petit à l’onirisme dans les représentations de la luxure telle que l’imaginait Bernard enfant. Le plaisir de la chair est pris crûment, puisqu’il est confondu avec un boucher découpant de la viande. Pour les scènes représentant l’enfer, Jacques Demy a inversé la pellicule, et a utilisé de nombreux ralentis qui ne sont pas sans évoquer l’enfer de Jean Cocteau dans Orphée. Cependant, la candeur de l’enfance révèle des fantasmes autour du désir sexuel, motivés par la transgression de l’interdit.
Aussi, La Luxure est un court-métrage qui contient déjà des thèmes chers au réalisateur et qui se retrouveront dans ses futurs films : la mémoire de l’innocence de l’enfance, les dialogues musicaux, l’inceste, mais aussi la tentation et le rêve. Un petit film presque programmatique donc, qui s’inscrit pleinement dans le mouvement de la nouvelle vague, tant sur le plan esthétique que narratif et technique.