Par sa fantaisie, sa spontanéité et sa franchise, Rosette — de son vrai nom Françoise Quéré — est un personnage à part dans l’œuvre et la vie d’Éric Rohmer. Sans être totalement rohmérienne, elle accompagne le réalisateur depuis sa mise en scène en 1979 de la pièce de Kleist, Catherine de Heilbronn, jusqu’à son dernier long-métrage en 2006, Les Amours d’Astrée et de Céladon. Elle est aussi la jolie et pétillante marchande de bonbons dans Pauline à la plage, celle qui préfère rester au lit alors que son café refroidit dans Bois ton café, ou encore l’amie fidèle et consolatrice de Delphine (Marie Rivière), éternelle indécise, dans Le Rayon Vert. Originaire de Cherbourg, elle monte à Paris à la fin des années 70, poussée par un désir farouche d’indépendance. La voici parcourant la capitale, avec son charme naïf, un panier de roses à la main, qu’elle vend, 10 francs pièce. Elle se lie ensuite d’amitié avec Rohmer, travaille avec lui, puis réalise ses propres films, Les Aventures de Rosette, avec ses amis Pascal Greggory, Marie Rivière, Arielle Dombasle, François-Marie Banier, Amanda Langlet, Béatrice Romand… Aujourd’hui, elle fait toujours du cinéma, elle écrit des romans et elle peint des portraits aux couleurs éclatantes.
A l’occasion de la rétrospective Éric Rohmer à la Cinémathèque française et au Louxor, Cinegraphe est allé rencontrer Rosette pour évoquer ses liens avec le réalisateur, ses souvenirs, et tenter de comprendre ce qui fait que Rohmer captive toujours autant le public cinéphile.
Comment avez-vous rencontré Éric Rohmer ?
J’ai téléphoné à Éric un matin à une heure précise de la part de Marie Rivière, qui m’avait dit de le joindre à ce moment-là. Très gentiment, il m’a donné rendez-vous quelques jours après aux Films du Losange. C’était à l’automne 1978. Quand je suis arrivée, Fabrice Luchini était là, j’ai toqué à la porte, Luchini s’est éclipsé. Je suis entrée dans le bureau d’Éric, il a fait du thé, et puis il m’a posé quelques questions. Il m’a demandé ce que je voulais faire, je lui ai dit que je voulais être comédienne, et il m’a dit que c’était « une très mauvaise idée ! ». Il a pris mon nom, Quéré Françoise, ma date de naissance, ma taille, mon numéro, et il a écrit tout ça sur un cahier d’écolier. Je suis restée une heure. Il allait tourner Perceval et il m’a dit qu’il avait tout distribué donc il n’y avait pas de rôle pour moi… Moyennant quoi, il m’a rappelée 15 jours après, il voulait me revoir. A l’époque je prenais des cours de théâtre chez Daniel Mesguich et il est venu me voir à l’audition de fin d’année, au théâtre Gérard Philippe, à Saint-Denis, je jouais plusieurs rôles, je faisais surtout Marianne dans Pierrot le fou. A la suite de l’audition, il m’a dit qu’il allait monter Catherine de Heilbronn, une pièce de Kleist, et que je pourrais avoir un rôle dedans… enfin, pas un seul rôle, trois ! C’était peut-être aussi pour des raisons économiques : j’ai fait l’ange, le petit garçon Isaac, et la servante Rosalie. C’était ma première participation avec Éric, mais également mon premier tournage ! Pendant la pièce, sur scène, est projeté un morceau de film, avec l’ange, Pascale Ogier et Pascal Greggory, qu’on avait tourné chez Barbet Schroeder et Bulle Ogier qui habitaient juste au-dessus du Losange. A partir de ce moment-là, on est devenus amis, on s’appelait, on se voyait, j’allais prendre le thé, il me donnait des cartons pour aller au cinéma et à la Cinémathèque, à Chaillot. Je me souviens qu’il m’avait donné un carton pour aller voir Du côté d’Orouët, de Jacques Rozier, qui est devenu un de mes films préférés. L’amitié est venue, comme ça, au fur et à mesure…
C’est vous qui avez créé le personnage de Rosette ?
Disons qu’Éric a créé le nom plutôt. Je m’appelais Rosalie dans Catherine de Heilbronn, je m’habillais un peu en rose, j’avais surtout des rubans roses dans les cheveux, Fabrice Luchini m’appelait Froussette, et Éric a fait la contraction de Rosalie et Froussette, et je me suis appelée Rosette… Après, c’est devenu mon pseudonyme. Quand je suis arrivée à Paris, je vendais des roses. C’est Éric qui a trouvé le nom mais je vendais vraiment des roses dans la rue, et ça marchait bien ! J’avais une trajectoire : Saint-Germain-des-Prés, avec le Flore et les Deux Magots, après la rue Saint-Benoit, la rue Jacob, puis je repassais du côté de la rue Cassette, dans un restaurant où il n’y avait que moi qui avais le droit de vendre des roses, parce que sinon, j’avais de la concurrence !
Lorsque vous avez téléphoné à Rohmer la première fois, vous aviez vu ses films avant ? Comment aviez-vous entendu parler de lui ?
Quand j’étais petite, il y avait un cinéma d’art et d’essai à Equeurdreville, le Jeanne d’Arc, et une espèce de bar où tu pouvais acheter des esquimaux à l’entracte, et il y avait l’affiche du Genou de Claire. J’adorais cette affiche, j’adorais la posture de la fille sur l’échelle, ça m’intriguait. J’avais cette image-là en tête. Quand Marie Rivière m’a dit qu’elle avait rencontré Éric et que je devais le contacter, je me suis dit que c’était une bonne idée. Est-ce que j’ai vu Le Genou de Claire à l’époque, je ne suis pas sûre… Mais à Paris…le premier film d’Éric que j’ai vu, ça doit être Ma Nuit chez Maud. Ensuite Éric m’a donné des cassettes quand je l’ai rencontré, et puis de toute façon il y avait toujours un film de lui qui passait au cinéma ! Il y avait une espèce de complicité entre nous…
Dès la première fois que vous vous êtes rencontrés ?
Pas la première fois, non ! J’étais très impressionnée, j’étais jeune.
Rohmer a créé le personnage de Rosette, mais c’est vous qui avez eu l’idée de raconter ses aventures avec les cinq courts-métrages ?
Oui, j’ai eu l’idée de faire les Rosette, pour me faire une carte de visite, pour que l’on voit comment je joue. A l’époque, j’avais un ami qui voulait le tourner. Et finalement lorsque j’en ai parlé à Éric, il m’a dit « ah, mais ça m’intéresse, je veux bien tenir la caméra ! ». Donc il a tenu la caméra sur tous les Rosette, c’était incroyable. Il était vraiment partie prenante.
Dans vos films, il y a une dimension autobiographique ? Notamment Rosette vend des roses ?
Oui, bien sûr. C’est mon premier film, j’y ai mis beaucoup de ma personne. C’est naïf, amateur, c’était comme un devoir de vacances. Oui c’est vrai que ça reprenait un peu ma vie… Le premier est presque pour les enfants, j’étais vraiment gamine, c’est drôle. Mais le deuxième court-métrage, Rosette prend sa douche, c’est un grand film ! Éric m’a fait un super compliment d’ailleurs, il m’a dit « c’est digne de Lubitsch » !
Vous traitez de sujets très quotidiens, on sent une certaine liberté dans le jeu, dans la forme, c’est très léger.
Oui, c’est très léger et amusant. Je suis assez personnage de comédie.
Est-ce vous qui aviez écrit le scénario ?
Oui, bien sûr. C’était très écrit, mais il y a juste eu un petit passage d’improvisation dans Rosette vole les voleurs, au moment du dîner entre François-Marie Banier et Arielle Dombasle. Sinon c’est très écrit, les acteurs respectaient bien les dialogues.
Donc vous étiez à la fois actrice, réalisatrice et scénariste. Cela vous a plu de passer de l’autre côté de la caméra ?
Oui, j’ai beaucoup aimé ! C’était compliqué de jouer et de mettre en scène. Heureusement Éric m’a beaucoup aidé à la réalisation technique, il était plus qu’un bras droit. C’était des films très amateurs, tournés en Super 8. Le premier a couté 500 francs, à l’époque, et le dernier c’était plutôt 5 000 ! Mais, quand même, je suis allée dans plein de Festivals : à Cannes, à Rouen, à La Ciotat, au Canada… j’ai rencontré plein de gens !
Finalement, les Rosette sont des films faits avec des amis : beaucoup d’acteurs que l’on retrouve dans les films de Rohmer (Marie Rivière, Arielle Dombasle, Pascale Ogier, Amanda Langlet, Pascal Greggory…)
Oui, l’idée c’était de former une équipe, une troupe. C’était bien pour Éric car ça pouvait prolonger une relation d’amitié. Éric aimait bien prendre et reprendre les mêmes acteurs et le fait de les voir jouer dans les Rosette pouvait lui donner l’idée de les reprendre pour un long métrage.
Comment se passaient les tournages de vos films ?
Éric tenait la caméra. Au départ, on faisait le son direct inclus avec la caméra, mais c’était pas très bon, donc après, on mettait une perche. Au montage, j’avais Mary Stephen ou Lisa Heredia. Et puis c’est grâce aux Rosette ensuite qu’on a fait Bois ton café. On a d’ailleurs fait la maquette en Super 8, avec mon mari, qui ne joue pas du tout comme Pascal Greggory, il le joue plutôt version nonchalant, avec les cheveux longs…
Dans vos films, il y a une dimension très nouvelle vague : économie de moyens, équipe réduite, tournage dans la rue…
C’est vrai qu’on n’avait pas demandé d’autorisation. C’était même parfois un peu juste : par exemple, lorsqu’on a tourné la scène dans le café-restaurant, en terrasse, on avait ramené deux bouteilles de champagne, et ils étaient un peu furax !
Dans la manière dont vous avez tourné et pensé ces films, est-ce que vous n’avez pas été influencée par Rohmer, qui vous a peut-être transmis une manière particulière de faire des films ?
Oui, sûrement. Mais je pense par exemple que les Rosette ont donné l’idée à Éric de faire Reinette et Mirabelle. C’est vraiment un échange. Éric ne m’a pas du tout aidé pour l’histoire, il était là seulement pour la réalisation technique. Tous mes films, c’est vraiment moi. Après les films, j’ai écrit deux romans, Le Grand méchant père, à propos de mon père, et Pas farouche, sur mes aventures amoureuses… C’est d’ailleurs Éric qui m’a encouragée à écrire. J’avais des histoires à raconter !
Dans Rosette sort le soir, Rohmer joue le rôle de votre père. Il était comme un père pour vous ?
Oui, oui. C’est d’ailleurs lui qui a du se proposer pour le rôle du père. C’était évident. Personne d’autre n’aurait pu jouer mon père. On avait un peu un rapport de maître et d’élève, au début, pour le premier film. Le film existe avec Éric, c’est quelqu’un que j’ai beaucoup aimé, comme un père, donc il n’y a pas d’autre père possible.
Rosette est-elle une rohmérienne ?
Moi je ne me considère pas comme une muse d’Éric Rohmer. Les muses c’est plutôt des actrices comme Marie, Arielle, Amanda… La muse, elle inspire. Moi je suis plutôt comme une mascotte, quelqu’un qui porterait bonheur.
Propos recueillis le 24 janvier 2019 par Cinegraphe
Rosette a publié deux romans chez Grasset, Le Grand méchant père, en 2008, et Pas farouche, en 2015.
Elle a réalisé les cinq courts-métrages qui composent la série des Aventures de Rosette, qu’elle présentera le 9 février, à 18h, à La Cinémathèque française, à Paris, à l’occasion de la rétrospective Éric Rohmer. Deux autres courts métrages de Rosette sont également programmés : Les Amis de Ninon, le 31 janvier à 14h30, et Une histoire qui se dessine, le 1er février à 16h15.
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A travers cette totalite imposante, qui semble tout reveler, tout dire, tout montrer, comment se frayer un chemin ? Peut-etre en lancant des mots, comme on lance un filet, et d’autres souvenirs reapparaitront. Avec l’aide de quelques-unes de celles qui l’entouraient, actrices, techniciennes, dames de compagnie, productrice.
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Rosette j’adore ton courage
et je t’aime toujours
Thierry